Josquin des Prés - Missa Pange Ligua + Missa Fa Sol La Re Mi (5/5)
01 | Pange Lingua | Anonyme | ***** |
02 | Missa Pange Lingua Kyrie | Josquin des Prés | ***** |
03 | Gloria | Josquin des Prés | ***** |
04 | Credo | Josquin des Prés | ***** |
05 | Sanctus & Benedictus | Josquin des Prés | ***** |
06 | Agnus Dei I, II & III | Josquin des Prés | ***** |
07 | Missa La sol fa re mi Kyrie | Josquin des Prés | ***** |
08 | Gloria | Josquin des Prés | ***** |
09 | Credo | Josquin des Prés | ***** |
10 | Sanctus & Benedictus | Josquin des Prés | ***** |
11 | Agnus Dei I, II & III | Josquin des Prés | ***** |
Ces deux mises en musique de la messe, toutes deux à quatre voix, furent écrites à des époques différentes de la longue carrière de Josquin, La sol fa re mi fut publiée en 1502, alors que Pange lingua est une œuvre tardive, peut-être la dernière messe josquinienne, qui ne fut publiée qu’après la mort du compositeur, en 1539. La différence de style est tout de suite évidente. Si au milieu de sa vie Josquin aimait souvent mettre à l’épreuve sa puissance d’invention en s’imposant des problèmes techniques difficiles à résoudre, il devint par la suite moins rigide, réussissant à parfaire une musique plus libre. Dans le cas de Pange lingua, généralement reconnue comme un de ses chefs-d’œuvre, cette liberté prend la forme d’une ‘fantaisie sur un plain-chant’. La maîtrise de la texture vocale dont fait preuve Josquin dans ces deux compositions peut être admirée sans réserve, car là où nombre de ses contemporains avaient besoin de cinq ou six voix, il lui en suffisait de quatre pour obtenir la même sonorité.
En choisissant une mélodie de plain-chant pour sa composition Pange lingua, Josquin se donna beaucoup plus de licence que dans La sol fa re mi. Mais il n’en décida pas moins d’ajouter à cette liberté en écrivant des lignes vocales tellement développées qu’il est parfois impossible de dire si la mélodie est ‘paraphrasée’ ou non. Ce fut néanmoins par cette œuvre que Josquin conféra à l’art de l’imitation qui donne à toutes les voix une égale valeur, son importance première. Cette technique eut des profondes répercussions dans toute l’Europe sur la musique de la fin de la Renaissance.
Le plain-chant Pange lingua fut conçu dès l’origine comme un hymne pour la Fête-Dieu. Cela s’entend nettement dans la composition de Josquin pour la partie de soprano dans le dernier Agnus Dei où l’hymne revêt enfin une forme reconnaissable. Ailleurs, c’est la partie de soprano qui a tendance à faire les références les plus explicites à la mélodie grégorienne, par exemple dans le Kyrie, au début du Gloria et au verset ‘Et incarnatus est’. Pour le reste, des fragments apparaissent ici et là, au sein des mélodies plus longues et tout à fait nouvelles, ou abrégés dans un des éléments rythmiques concis typiques de Josquin. C’est ainsi qu’il obtint la variété d’expression qui allait vouer cette messe à l’admiration générale.
La sol fa re mi, comme son nom l’indique, est basée sur les notes de solmisation que ces syllabes représentaient dans la gamme médiévale. La messe est tirée dans sa presque intégralité de cette seule phrase de cinq notes, que l’on peut entendre clairement dans différentes longueurs de note, et parfois à des hauteurs différentes dans l’une ou l’autre des voix, mais surtout chez le ténor (dont la tessiture ne diffère pas beaucoup de celle de l’alto). Écrire toute une messe qui conserve rigoureusement l’énonciation de cinq notes du début à la fin, comme une sorte de cantus firmus très abrupt, constitue un exploit étonnant et témoigne d’un véritable esprit d’invention. Josquin s’était déjà essayé à cette technique dans une messe intitulée Faisant regretz (basée sur ‘fa ré mi ré’), mais en s’octroyant la possibilité de transposer par degré l’ostinato de haut en bas, une méthode communément appliquée par d’autres compositeurs de l’époque, dont Obrecht et Isaac. À l’opposé, la technique de La sol fa re mi était rare et complexe.
Josquin ne fut cependant pas le premier à avoir l’idée d’utiliser ces notes. Selon Glareanus, elles ont pour origine l’imitation d’un potentat inconnu qui avait l’habitude de congédier les solliciteurs importuns avec les mots ‘Lascia fare mi’ (‘Laissez moi faire’). Que cela soit vrai ou non, plusieurs chansons populaires de l’époque furent axées autour de cette phrase. Josquin put non seulement baser la partie de ténor presque exclusivement sur cette phrase, mais aussi la prêter aux autres voix de sa messe grâce à la technique de l’imitation initiale, par exemple dans le ‘Christe’ et le premier ‘Hosanna’. Le ‘Pleni sunt’ n’est qu’une imitation du début à la fin. Une seule fois (la basse à la fin du ‘Christe’) l’ostinato est transposé pour commencer à ré (requérant par la suite un si bémol). Autrement, dans plus de deux cents répétitions, il commence au la ou au mi. Le plus beau moment se trouve peut-être à la fin de l’Agnus Dei (I et III) lorsque les notes de l’ostinato s’accourcissent à mesure que au fur et à mesure que s’intensifie le caractère mystique de la musique.
Peter Phillips, carton original CD.
01 | Pange Lingua | Anonyme | ***** |
Pange lingua gloriosi Chante, ô ma langue,
Corporis mysterium, le mystère du Corps glorieux,
Sanguinisque pretiosi, et du précieux Sang,
Quem in mundi pretium que le Roi des nations,
Fructus ventris generosi fruit d’un noble sein,
Rex effudit gentium. Versa pour le rachat de la multitude.
Nobis datus, nobis natus Il nous fut donné et naquit pour nous
Ex intacta Virgine, de la Vierge immaculée ;
Et in mundo conversatus, ayant vécu avec les hommes
Sparso verbi semine, et fait germer la parole divine,
Sui moras incolatus il paracheva son séjour ici-bas
Miro clausit ordine. Par une création admirable.
In supremae nocte coenae La nuit de la Cène,
Recumbens cum fratribus, attablé avec ses disciples
Observata lege plene après avoir pleinement observé la loi
Cibis in legalibus, au cours du repas rituel,
Cibum turbae duodenae il se donna de ses propres mains
Se dat suis manibus. En nourriture aux douze apôtres.
Verbum caro, panem verum Le Verbe incarné change par son verbe
Verbo carnem efficit : le pain en sa propre chair,
Fitque Sanguis Christi merum, le vin devient le sang du Christ,
Et si sensus deficit, et si la raison défaille,
Ad firmandum cor sincerum la loi suffit à elle seule
Sola fides sufficit. Pour affermir un coeur pur.
Tantum ergo Sacramentum Adorons donc prosternés
Veneremur cernui : un si grand sacrement,
Et antiquum documentum et que les rites antiques
Novo cedat ritui : s’effacent devant la nouvelle liturgie ;
Praestet fides supplementum que la foi supplée
Sensuum defectui. À la défaillanc de nos sens.
Genitori, Genitoque Au Père et au Fils,
Laus et iubilatio, louange et célébration,
Salus, honor, virtus quoque salut et honneur,
Sit et benedictio : toute-puissance et bénédiction ;
Procedenti ab utroque gloire égale à [l’Esprit Saint]
Compar sit laudatio. Amen. Qui procède de l’un et de l’autre. Amen.
02 | Missa Pange Lingua Kyrie | Josquin des Prés | ***** |
03 | Gloria | Josquin des Prés | ***** |
04 | Credo | Josquin des Prés | ***** |
05 | Sanctus & Benedictus | Josquin des Prés | ***** |
06 | Agnus Dei I, II & III | Josquin des Prés | ***** |
07 | Missa La sol fa re mi Kyrie | Josquin des Prés | ***** |
08 | Gloria | Josquin des Prés | ***** |
09 | Credo | Josquin des Prés | ***** |
10 | Sanctus & Benedictus | Josquin des Prés | ***** |
11 | Agnus Dei I, II & III | Josquin des Prés | ***** |
Kyrie eleison. Christe eleison. Seigneur, prends pitié. Christ, prends pitié.
Kyrie eleison. Seigneur, prends pitié.
Gloria in excelsis Deo Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix,
et in terra pax hominibus bonae voluntatis. Sur la terre aux hommes de bonne volonté.
Laudamus te. Benedicimus te. Nous te louons. Nous te bénissons.
Adoramus te. Glorificamus te. Gratias. Nous t’adorons. Nous te glorifions. Nous te
agimus tibi propter magnam gloriam tuam. Rendons grâce pour ton immense gloire.
Domine Deus, Rex caelestis, Seigneur Dieu, roi des cieux,
Deus Pater omnipotens, Dieu le Père tout-puissant,
Domine Fili unigenite, Iesu Christe. Seigneur Fils unique, Jésus-Christ,
Domine Deus, Agnus Dei, Filius Patris. Seigneur Dieu, agneau de Dieu, Fils du Père,
Qui tollis peccata mundi, toi qui enlèves les péchés du monde,
miserere nobis. Prends pitié de nous ;
Qui tollis peccata mundi, toi qui enlèves les péchés du monde,
suscipe deprecationem nostram. Reçois notre dépréciation ;
Qui sedes ad dexteram Patris, toi qui es assis à la droite du Père,
miserere nobis. Prends pitié de nous.
Quoniam tu solus sanctus. Car toi seul est saint.
Tu solus Dominus. Toi seul es Seigneur.
Tu solus altissimus, Iesu Christe. Toi seul es très haut, Jésus-Christ.
Cum Sancto Spiritu Avec le Saint-Esprit,
in gloria Dei Patris, Amen. Dans la gloire de Dieu le Père. Amen.
Credo in unum Deum, Je crois en un seul Dieu,
Patrem omnipotentem Père tout-puissant,
factorem caeli et terrae, créateur du ciel et de la terre,
visibilium omnium et invisibilium. De toutes les choses visibles, et invisibles.
Et in unum Dominum Iesum Christum, Et en un seul Seigneur Jésus-Christ,
Filium Dei unigenitum. Fils unique de Dieu,
Et ex Patre natum ante omnia saecula. Né du Père avant tous les siècles,
Deum de Deo, lumen de lumine, Dieu né de Dieu, lumière née de la lumière,
Deum verum de Deo vero. Vrai Dieu né du vrai Dieu,
Genitum, non factum, engendré, non pas créé,
consubstantialem Patri : consubstantiel au Père ;
per quem omnia facta sunt. Par qui toutes les choses furent créées.
Qui propter nos homines Qui, pour nous les hommes,
et propter nostram salutem et pour notre salut,
descendit de caelis. Descendit des cieux,
Et incarnatus est de Spiritu Sancto et prit chair de la Vierge Marie
ex Maria virgine : par le Saint-Esprit :
Et homo factus est. Crucifixus Et se fit homme.
Etiam pro nobis : sub Pontia Pilato Il fut aussi crucifié pour nous : sous Ponce Pilate,
passus et sepultus est. Il mourut et fut enseveli.
Et resurrexit tertia die Et il ressuscita le troisième jour.
Secundum scripturas. Conformément aux écritures.
Et ascendit in caelum : Et il monta au ciel :
sedet ad dexteram Patris. Il s’assit à la droite du Père.
Et iterum venturus est cum gloria Et il reviendra dans la gloire.
Iudicare vivos et mortuos : pour juger les vivants et les morts :
cuius regni non erit finis. Son règne n’aura pas de fin.
Et in Spiritum Sanctum, E credo nello Spirito Santo,
Dominum et vivificantem : et vivificateur :
qui ex Patre Filioque procedit. Qui procède du Père et du Fils,
Qui cum Patre et Filio simul qui, avec le Père et le Fils,
adoratur et conglorificatur ; est pareillement adoré et glorifié ;
qui locutus est per Prophetas. Qui a parlé par les prophètes.
Et unam sanctam catholicam Et en une sainte, catholique
et apostolicam Ecclesiam. Confiteor unum et apostologique église. Je reconnais un seul
baptisma in remissionem peccatorum. Baptême pour la rémission des péchés.
Et expecto resurrectionem mortuorum. Et j’attends la résurrection des morts
Et vitam venturi saeculi. Amen. Et la vie du monde à venir. Amen.
Sanctus, sanctus, sanctus, Saint, saint, saint,
Dominus Deus Sabaoth. Seigneur des armées célestes.
Pleni sunt caeli et terra gloria tua. Le ciel et la terre sont emplis de ta gloire.
Osanna in excelsis. Hosanna au plus haut des cieux.
Benedictus qui venit Béni soit celui qui vient
in nomine Domini. Au nom du Seigneur.
Osanna in excelsis. Hosanna au plus haut des cieux.
Agnus Dei, qui tollis peccata Agneau de Dieu, qui enlèves les péchés
mundi, miserere nobis. Du monde, prends pitié de nous.
Agnus Dei, qui tollis peccata Agneau de Dieu, qui enlèves les péchés
mundi, miserere nobis. Du monde, prends pitié de nous.
Agnus Dei, qui tollis peccata Agneau de Dieu, qui enlèves les péchés
mundi, dona nobis pacem. Du monde, donne-nous la paix.
Des découvertes récentes contredisent ce que l’on pensait connaître de la vie et de l’œuvre de Josquin des Prés (v. 1450 – 1521). On sait désormais que plusieurs Josquin ont existé et que l’un d’entre eux, actif à Milan entre 1469 et 1472 – et que l’on confondait parfois avec le grand musicien -, était Josquin de Kessalie, un autre compositeur de dix ans l’aîné de celui de la Missa Pange Luinga.
Josquin Des Prés (ou Desprez) est né entre 1450 et 1455 et alla vivre enfant à Condé-sur-l’Escaut, près de Valenciennes. En 1477, il était au service de René d’Anjou à Aix-en-Provence – point de départ de sa carrière de compositeur. Après avoir servi à la cour milanaise au cours des années 1480, puis dans les chœurs pontificaux entre 1489 et 1495 environ, Josquin Des Prés fut désigné maître de chapelle par le duc de Ferrare en 1503. Il n’occupa pas longtemps cette charge car il retourna à Condé l’année suivante pour y devenir chanoine de l’église de Notre-Dame.
La Missa Pange Lingua semble avoir été écrite vers 1514. C’est une messe qui, sur le plan mélodique, est composée de variations sur l’hymne Pange Lingua destiné à l’Eucharistie. Josquin Des Prés était maître dans l’art de ces variations, baptisé paraphrase. Bien que l’œuvre n’ait pas été incluse dans le troisième recueil des messes du compositeur, publié en 1514 par Petruci, célèbre imprimeur vénitien, elle était assez populaire pour apparaître dans divers manuscrits de l’époque.
L’interprétation des Tallis Scholars révèle avec une clarté cristalline la trame imitative de l’oeuvre – certains éléments de l’hymne émergent puis se fondent dans le reste à la manière d’un kaléidoscope sonore. On comprend mieux encore le tout grâce à l’inclusion dans cet album de l’hymne original, chanté avant la messe.
Naomi Matsumoto, Les 1001 œuvres classiques qu’il faut avoir écoutées dans sa vie.