Roland de Lassus - Chansons & Moresche (4,56/5)
01 | Las ! Me faut-il | Roland de Lassus | **** |
02 | Quand mon mary vient de dehors | Roland de Lassus | **** |
03 | Si du malheur | Roland de Lassus | **** |
04 | Une puce j’ay dedans l’oreill’ helas ! | Roland de Lassus | ***** |
05 | La nuict froide & sombre | Roland de Lassus | **** |
06 | Vignon, vignon, vignette, | Roland de Lassus | ***** |
07 | Fuyons tous d’amour le jeu | Roland de Lassus | ***** |
08 | Un triste cœur | Roland de Lassus | ***** |
09 | Lucia, celu | Roland de Lassus | ***** |
10 | Chi chilichi ? | Roland de Lassus | ***** |
11 | O Lucia | Roland de Lassus | ***** |
12 | Allala, pia calia | Roland de Lassus | ***** |
13 | J’ay un mary | Roland de Lassus | **** |
14 | Le tems peult bien | Roland de Lassus | **** |
15 | Quant mon mary | Roland de Lassus | ***** |
16 | Un jeune moine est sorti du couvent | Roland de Lassus | **** |
17 | O foible esprit | Roland de Lassus | **** |
18 | En un chasteau | Roland de Lassus | ***** |
19 | Elle s’en va | Roland de Lassus | ***** |
20 | Lucescit jam o socii | Roland de Lassus | **** |
21 | Je l’ayme bien | Roland de Lassus | ***** |
22 | Mais qui pourroit estre celuy | Roland de Lassus | **** |
23 | Cathalina | Roland de Lassus | ***** |
24 | Hai, Lucia | Roland de Lassus | **** |
25 | Canta Giorgia | Roland de Lassus | ***** |
« Monseigneur : non pas cu’ré ni cul’ sans barbe, ni Guillaume de la Garbe, Con bien fou tu serois Orlando si tu pensois de penser au pensement que ton maistre et seigneur le prince Guillaume pense ; si tu pensois telle pensée, elle te seroit bien récompensée : mais où est allée ma pensée de penser à ce que je pense ? Le penser ne vaut la dépense, honni soit-il qui mal i pense… Tirons avant non pas derrière, entrons en une autre matière… » (lettre de Lassus au « très illustre et très excellent prince Guillaume… », 18 mai 1575).
Cette lettre, parmi d’autres, le montre : il y a du bouffon chez Roland de Lassus, même s’il est capable aussi de mélancolie, comme il le montrera à la fin de sa vie, minée jusqu’au silence (de 1591 à 1593) par la dépression. L’artiste en saltimbanque : c’est bien le divin Orlande lui-même que l’on découvre, par exemple, dans les Dialoghi de Massimo Troiano, sous le masque de Pantalone, « Il Magnifico Venetiano ». Dans son récit des Fêtes du mariage de 1568 (entre Guillaume de Bavière et Renée de Lorraine), le musicien italien y décrit « une comédie improvisée à l’italienne » : « Le véritable virtuose Orlando Lasso joua si bien et avec un tel bonheur Il Magnifico le Vénitien, comme le fit aussi son Zanni, que leur jeu fit s’esclaffer de rire toute l’assemblée ».
C’est à ce même Lassus que l’on doit un livre de Villanelle, Moresche et altre Canzoni, publié à Paris en 1581. Comme il le dit dans sa Préface, il s’agit d’œuvres composées dans sa jeunesse, qu’il estime à peine convenable de publier si tard alors qu’il a atteint un âge avancé. Ces œuvres légères, inspirées de la commedia dell’arte, s’ajoutent aux premières villanelles que le polyphoniste avait éditées à Anvers dès 1555. Une autre pièce, O Lucia miau, à 3 voix, était aussi parue à Venise en 1560 : même si Alfred Einstein en discute l’attribution à Lassus, elle représente en tout cas une véritable morescha du folklore napolitain (sorte de caricature des chansons de nègres). C’est cet esprit de la morescha et de la mascherata que conservent les pièces de 1581, même si Lassus leur donne une facture sensiblement plus savante.
La bouffonnerie de Lassus s’exerce aussi dans le jeu macaronique, comme dans nombre de ses lettres, dans cette chanson à boire (Lucescit jam / Nunc bibamus), où les quatre voix chantent alternativement en latin et en français, opposant en même temps les caractères musicaux. Cependant, pour le répertoire français, la lucidité du musicien se révèle en général dans le style rustique et épigrammatique, témoignage de son goût constant pour le jeu verbal. C’est bien dans la tradition parisienne d’un Janequin que Lassus s’inscrit, avec des chansons telles que En un chasteau (1570), Vignon, vignon, vignette, Mais qui pourroit (1584), Quand mon mari et Fuyons tous d’amour le jeu (1564).
Ses séjours parisiens (en 1571, 1573 et 1574), où il est l’invité du Roi Charles IX, laissent manifestement quelques traces dans sa production : la « villanelle » en vers mesurés d’Anthoine de Baïf, Une puce (1576) atteste que Lassus s’est alors intéressé aux recherches humanistes de l’Académie de Poésie et de Musique, placée sous l’autorité royale. Une lettre de l’éditeur et luthiste Adrian Le Roy en fait foi : Charles IX s’intéresse alors au maître flamand, dans l’espoir évident de le retenir à Paris. « Je luy ay présenté vostre Jeune moine, qu’yl a tant agréable que merveille », y écrit le luthiste, s’adressant à Lassus. Cette chanson rustique, sur une mélodique qu’on peut supposer populaire déjà traitée par Philippe de Vuildre, s’inscrit dans une tradition à la mode au début du XVIe siècle, restée très vivante chez les franco-flamands.
Certaines parmi les chansons françaises, de facture relativement archaïsante (Las me faut-il, Ung triste cueur, 1560, O temps divers, 1559) manifestent aussi l’héritage de Crecquillon ou de Clemens non Papa. D’autres, en revanche, paraissent sensiblement italianisantes, comme ces deux pièces où Lassus met en musique Du Bellay, O foible esprit (1571) et surtout La nuict froide et sombre où la polyphonie se fait quasi picturale.
Jean-Pierre Ouvrard, carton original CD.
01 | Las ! Me faut-il | Roland de Lassus | **** |
Las ! Me faut il tant de mal supporter,
Sans que personne en ayt la connaissance,
Faisant semblant tousjours me contenter
Et si n’ay plus de mon bien esperance :
Ostez moy donc mon dieu la souvenance
De ce malheur auquel ne puis pourvoir
Ou me donnez si longue patience,
Qu’autre que vous ne le puisse sçauoir.
02 | Quand mon mary vient de dehors | Roland de Lassus | **** |
Quand mon mary vient de dehors,
Ma rente est d’estre batue,
Il prend la cuillier du pot
A la teste il me la rue.
J’ay grand peur qu’il ne me tue,
C’est vn faux villain jaloux,
C’est vn villain rioteux grommeleux :
Je suis jeune & il est vieux.
03 | Si du malheur | Roland de Lassus | **** |
Si du malheur vous aviez cognoissance,
Dont ma vie est à rude mort contrainte,
Verriez à l’oeil ma perdurable crainte
D’estre oublié par la trop longue absence :
Absent je meurs, & en vostre presence
Present avez de moy l’ame ravie,
Helas ! c’est bien par divine puissance
Mourir auprès, & loing perdre la vie.
04 | Une puce j’ay dedans l’oreill’ helas ! | Roland de Lassus | ***** |
Une puce j’ay dedans l’oreill’ helas !
Qui de nuit & de jour me fretille & me mord
Et me faict devenir fou.
Nul remède n’i puis donner,
Je cours deça, je cours dela,
Ote la moy, retire la moy, je t’en pri,
O toute belle, secours moy.
Quand mes yeux je pence livrer au someil.
Elle vient me piquer, me démange, me poingt
Et me garde de dormir.
Nul remède…
D’une vieille charmeresse aidé me suis,
Qui guérit tout le monde & de tout guérissant,
Ne ma sçeu me guerir moy :
Nul remède…
Bien je sçay que seule peux guérir ce mal,
Je te pri de me voir de bon œil, et vouloir
Amolir ta cruauté :
Nul remède…
05 | La nuict froide & sombre | Roland de Lassus | **** |
La nuict froide & sombre
Couvrant d’obscure ombre
La terre & les cieux,
Aussi doux que miel,
Fait couler du ciel
Le sommeil aux yeux :
Puis le jour luisant
Au labeur duisant,
Sa lueur expose,
Et d’un teint divers,
Ce grand univers
Tapisse & compose.
06 | Vignon, vignon, vignette, | Roland de Lassus | ***** |
Vignon, vignon, vignette,
Qui te planta il fut preudom,
Il me semble avis que jalaitte,
Vignon, vignon, vignette,
Il me semble que jalaitte
Quand tu passes mon gorgeton.
Vignon, vignon, vignette,
Qui te planta il fut preudom.
07 | Fuyons tous d’amour le jeu | Roland de Lassus | ***** |
Fuyons tous d’amour le jeu
Comme le feu,
Ayme qui voudra les femmes,
Serve qui voudra les dames,
Quand à moy, je n’en ay cure
N’y les procure.
Jamais on n’y gaigne rien,
Je le voy bien.
Fuyons tous d’amour le jeu
Comme le feu.
08 | Un triste cœur | Roland de Lassus | ***** |
Un triste coeur remply de fantaisie,
Comblé de dueil & de mélancolie
Entre-lardé de tresgriefve douleur
Ne cherche rien pour fuir mon malheur
Que désespoir pour tost finir sa vie.
09 | Lucia, celu | Roland de Lassus | ***** |
Lucia, celu, hai, hai, biscania « Lucia, ciel, ah, ah
Tambilililili gua, ciri, ciri cian. Tambilililili gua, ciri, ciri clan.
Non canusci Giorgia tua, Christophona tua ? Tu ne connais pas ton Giorgia, ton pauvre chanteur,
Se tu fare cariss’ a me, Si tu es tendre avec moi
Et io far cariss’a te, gua gua, Et si je suis tendre avec toi, gua gua,
Se te voi scarpe de laura Si tu veux des chaussures dorées
Con chiavelle sommolata, A talons,
Et dobletta quadra cirifa Doublées de fin coton,
Con gonella de scuagliata, Et une robe à volants,
Giorgia tua port’à te Ton Giorgia t’apporte
Ciambelotta verde, bruna, Une toile d’étain vert, brun,
Carmosina leonata, Rouge carmin, fauve,
Et no fare de paternoglia Et ne jure pas,
Cosa canda come contessa, Car il te chante comme une comtesse,
Cod’alzata com’ a Madonna, Comme une grande dame,
Apri porta ! Giorgia tua Ouvre la porte ! Ton Giorgia
Canta la magna ! Chante tes louanges,
Hai, Lucia mia, Ah ma Lucia,
Non canusci Giorgia tua Tu ne connais pas ton Giorgia
Che te vole tando di bene, Qui t’aime tant,
Che non pote niente bedere, Et qui n’a rien à boire,
U, u, gricache, za za baraza, Hou, hou, capricieuse, za, za, baraza,
Tiri, tiri, gua gua Tiri, tiri, gua gua. »
(Nigra quala burno, je vous quie au nez. « Gueux de nègres, je vous ch… au nez.
Alabachi laudi barichigno). Louanges de pacotille.
Scaba canaza, vati con dio, Va au diable, chien galeux,
Non cene leche, per santa malina. Il n’y a rien à lécher ici, mille diables! »
Zu zu bere, tiritiriegua gua, « Zu, zu, à boire, tiritirigua gua,
Hai Lucia mia ! Ah ma Lucia! »
Giorgia sporcata pisci’ a lo lieto ! « Ce porc de Giorgia pisse au lit ! »
dici, sudata pampona, « Dis moi, suante drôlesse,
Fete come tonina, Tu pues du c…! »
Burnognala, scaba canaza ! « Ivrogne, chien galeux ! »
Ziche lizi, diridindina, « Ziche lizi, diridindina,
Zocolo, che della burnoguala Quelle jolie gorge, tirili. »
Siamo burnoguala. « Nous sommes des rustauds ivres,
Dindiri, dindiridina. Dindiri, dindiridina. »
10 | Chi chilichi ? | Roland de Lassus | ***** |
Chi chilichi ? Cucurucu ! « Qui crie cocorico ? » – « Cocorico !
U, scontienta, u, beschina, O le malheureux, le misérable,
U, sprotunata, me Lucia ! L’infortuné, c’est moi Lucia !
Non sienta Martina galla cantara ? N’entends-tu pas Martina le coq chanter ? »
Lassa canta possa clepare, « Ah, crève avec ta chanson,
Porca te, piscia sia cicata ! Porc plein de m… !
Ja dormuta, tu sciata. J’étais endormie et tu me réveilles !
Ba con dia, non bo piu per namolata. Va au diable, tu n’es plus mon amoureux.
Tutta notte tu dormuta, Tu as dormi toute la nuit,
Mai a me tu basciata. Tu ne m’as pas embrassée une seule fois ! »
Cucurucu ! Cucurucu ! « Cocorico ! Cocorico ! »
Che papa la sagna, « Si Papa l’apprenait,
Metter’ ucelli entr’a gaiola, Il mettrait les oiseaux en cage,
Cucurucu, cucurucu ! « Cocorico, cocorico ! »
Leva da loco, Piglia Zampogna, « File d’ici, prends ta cornemuse
Va sonando per chissa cantuna. Et va jouer pour une autre. »
Lirum, lirum… li. « Lirum, lirum… li ».
(Sona se voi sonare.) « (Joue puisque tu veux jouer.) »
Lassa, carumpa, canella, « Ah charogne, chien,
Lassa Martina, Lassa Lucia, Ah Martina, ah Lucia,
U, madonna, aticilum barbuni, Oh femme, à ton ciel, »
Sona, son’ o non gli dare, « Joue, joue ou ne lui donne rien, »
Lirum li, lirum li. Lirum li, lirum li.
La mogliere del peconaro La femme du berger
Sette pecor’ a no danaro, A sept moutons et pas d’argent ;
Se ce fussa Caroso mio, Si c’était mon amoureux,
Cinco pecor’a no carlino. Il y aurait cinq moutons et pas d’écus.
Anza la gamba, madonna Lucia, Lève-toi Lucia,
Stiendi la mano, piglia Zampogna, Donne-moi la main, prends la cornemuse,
Santa no poco con mastro Martino ! Et danse donc avec maître Martino !
Lirum, lirum li… Lirum, lirum li….
11 | O Lucia | Roland de Lassus | ***** |
O Lucia, miau, miau, tu nun gabbi chiu a me, « O Lucia, miaou, miaou, ne joue pas plus longtemps avec moi
Sienta matunata ! Ecoute mon aubade !
O musutta lica pignata, cula caccata ! O fond de marmite, c… plein de m… ! »
Chi e chissa billanazza, comme gatta chiame me ? « Mais quelle est cette grossièreté, qui m’appelle comme un matou ? »
Giorgia tua sportunata « Ton infortuné Giorgio
Che vol tanto ben a te. Qui t’aime tant. »
la ti prega, cula mia. « Je t’en prie mon c…,
Lassa passar bizarria, Arrête de faire le fou ! »
Ch’aia, statua marmorata, « Mais qu’as-tu donc, statue de marbre,
Perche l’autra tu trovata L’autre que tu as trouvé
Che non vole ben’a te ! Ne t’aime pas ! »
O Lucia, susa da lietta, non dormire, « O Lucia, sors du lit, arrête de dormir,
Scienta Giorgia bella cantare, Belle, écoute Giorgia chanter
Con zanpogna e tanmorina, Avec cornemuse et tambourin
Per voler far cantarata. Pour te donner une aubade.
O Lucia in zuccarata, O Lucia toute de sucre,
Perche pur stai corruzata ? Pourquoi es-tu encore fâchée ?
Miau, miau gratta malata ! Miaou, miaou, pauvre matou malade !
Va cuccina, licca pignata, cula caccata ! Va au lit, vieux chaudron, c… plein de m… !
Sienta, sienta matunata, Ecoute, ecoute mon aubade,
Giorgia tua vol cantara Ton Giorgia veut chanter
Che vol tanto ben’a te ! Qu’il t’aime tant ! »
12 | Allala, pia calia | Roland de Lassus | ***** |
Allala, pia calia, Dehors, vauriens !
Siamo bernaguala ! Nous sommes gais !
Tanbilililili, Tanbilili. Tanbilililili, Tanbilili.
Schinschina bacu, santa gamba, Fais danser tes jambes,
Gli, gli, pampana calia. Gli, gli, chère fripouille,
Cian, cian, nini gua gua, ania catuba, Cian, cian, nini gua gua, ania catuba,
(Chi linguacina bacu lapia clama gurgh.) (Dans cette langue, on ne peut vraiment que gargouiller.)
Hohe… haha… hoho ! Hohe… haha… hoho !
Cucanacalia rite apice scututuni Rustres, riez, réjouissez-vous,
la pia piche, Remuez-vous,
Berlinguaminu charachire. Nous parlons la langue des ivrognes,
Et non gente gnam gnam Et non celles des gens gnam gnam
Ch’ama figlia gentilhuom ! Qu’aime la fille du gentilhomme !
Non curare berlinguaminum Ne faites pas attention à nos paroles,
Ch’amar fosse chissa hominum Car ces manières de rustre
are buscani ! Plaisent peut-être à cet homme !
A la cura chi de cua ! A notre santé, nous sommes ivres !
Are patichache, siamo beschin ! Dehors,….
Allala, pia calia…
13 | J’ay un mary | Roland de Lassus | **** |
14 | Le tems peult bien | Roland de Lassus | **** |
15 | Quant mon mary | Roland de Lassus | ***** |
16 | Un jeune moine est sorti du couvent | Roland de Lassus | **** |
Un jeune moine est sorti du couvent,
A rencontré une nonnette au corps gent.
Se print a luy demander
S’elle vouloit brinbaler
Ou dancer le petit pas.
Vray dieu helas !
Vous ne brinbalerez, moine !
Vray dieu helas !
Vous ne brinbalerez pas.
He moine, moine, qu’apelez brinbaler ?
Ma jeune dame, baiser & accoller
En nostre religion
Brinbaler nous apelons,
Cors à cors nus en deux draps.
Vray dieu helas !…
Et moine, moine, que diront vos abéz ?
Ils sont déçeus tous voire très bien gabéz
En lieu de bien entonner
Vous faites le lict branler,
La reigle ne l’entend pas.
Vray dieu helas !…
17 | O foible esprit | Roland de Lassus | **** |
O foible esprit, chargé de tant de peines
Que ne veux-tu soubz la terre descendre ?
O coeur ardent, que n’est-tu mis en cendres ?
O tristes yeux, que n’estes vous fonteines ?
O bien douteux ô peines trop certaines,
O doux sçavoir trop amer à comprendre,
O Dieu qui fays que j’ose entreprendre
Pourquoy rends tu mes entreprises vaines ?
O jeune archer, archer qui n’as point d’ieux,
Pourquoy si droit as-tu pris ta visée ?
O vif flambeau qui embrases les Dieux
Pourquoy as-tu ma froideur attisée ?
O face d’ange, O coeur de pierre dure
Regarde au moins le tourment que j’endure.
18 | En un chasteau | Roland de Lassus | ***** |
En un chasteau ma dame par grand cure,
Vit Hercules en marbre érigé,
Beau le trouva & de belle stature,
N’y trouvant rien pour estre corrigé,
Fors le petit membre, qu’elle a jugé
Estre imparfait au prix de ce grand cors :
Vous vous trompez, dit le masson âgé,
Car voz grands trous estoient petis alors.
19 | Elle s’en va | Roland de Lassus | ***** |
Elle s’en va de moy la mieux aymée,
Elle s’en va certes & si demeure
Dedans mon cœur tellement imprimée
Qu’elle y sera jusques à ce qu’il meure.
20 | Lucescit jam o socii | Roland de Lassus | **** |
Lucescit jam o socii,
Nous tardons trop à déjeuner,
Habemus tantum ocii
Que ferions nous jusque au diner ?
Jam parata sunt omnia,
Mettons nous à table en bon heur.
Si quis quaeret, Quare ? Quia
Trop juner aporte douleur.
Nunc bibamus non segniter,
C’est trop manger sans boyrevun coup.
Bibamus bis, ter & quater,
Puis chanterons Or sus à coup.
Non habentes pecuniam,
L’hoste dira ce qu’il voudra,
Ite per aliam viam,
On le payra quand on pourra.
21 | Je l’ayme bien | Roland de Lassus | ***** |
Je l’ayme bien & l’aymeray,
En ce propos suis & seray,
Et demourray toute ma vie,
Et quoy que l’on me porte envie.
Je l’ayme bien & l’aymeray.
22 | Mais qui pourroit estre celuy | Roland de Lassus | **** |
Mais qui pourroit estre celuy,
Qui me fait chercher mon oyseau ?
Est-ce point ce meschant Daluy ?
C’est un faux petit larronneau,
Il me fait à tous coups chercher
Tout cela qu’il me peut cacher .
Qui me la, qui me la, qui me la pris
Qui le remette ou il la pris.
Si mon gentil Francin sçavoit,
Qui m’a fait un si lache tour,
M’avoir prins ce qui nous avoit
Enflammé tout le coeur d’amour
Et qui nous a par ses doux chantss
Retins cent fois emmy ces chams,
Qui me la…
Helas mon Francin, mon mignon,
Je crain & me doute bien fort,
Que nostre petit compagnon
N’ait enduré un grand effort,
Car j’ay veu nostre gros chat roux,
Qui le guignoit a tous les coups.
Qui me la….
23 | Cathalina | Roland de Lassus | ***** |
Cathalina, apra finestra, Cathalina, ouvre la fenêtre
se voi senta Giorgia cantara ; Si tu veux entendre chanter Giorgia,
se tu en’ a me sonara, Si tu m’entends jouer,
passa tutta fantanasia. Ton humeur passera.
Ja te priega, core mia, Je t’en prie mon coeur,
Non volere scorrucciare, Ne sois plus fâchée
Perche Giorgia vol cantara, Puisque Giorgia veut chanter
Per passare fantanasia. Pour faire passer ton humeur.
Spetta loco et non partutta, Reste donc là, ne t’en va pas
Quant’ accordo quissa Liuta ; Pendant que j’accorde ce luth,
Tron, tron, tirin tron… Tron, tron, tirin tron…
Andar avalenza, Gia calagia, Allez, montre-toi, descends,
Schincina bacu, sana laqua ! Dépêche-toi !
Affaci’ un poco, quissa pertusa ! Laisse-toi voir un peu à ta fenêtre !
Lassa via un poc’ a tia, Ah, rien qu’un peu,
Voglio cant’una canzona Je veux chanter une chanson
Come fusse tamborina, Comme un tambourin,
Hu, a te bella, hu a te mania, Oh à toi belle, oh à toi méchante,
Hu, a te canazza ! Zuccara mia ! Oh à toi canaille ! Mon miel !
Chissa capilla come latte, Cette chevelure comme du lait,
Fronte luce, come crescere, Ton front lumineux,
Occhi tua come lanterna, Tes yeux comme des lanternes,
Chissa nissa sprofilata, Ton nez qui se profile,
Faccia tua come smeralda. Ton visage comme une émeraude,
Chissa labra marzapanata Ces lèvres de massepain,
Bocca tua come doanna, Ta bouche comme un chevreuil,
Cizza grossa come fiascone ; Ta poitrine pleine comme un flacon,
Lassa biber’a Giorgia tua, Ah donne à boire à ton Giorgia
Bella infanta ! Belle enfant !
Vostr ‘amore mi fa morire ! « Votre amour me fait mourir !
Tutta la notte la galla canta ; Le coq a chanté toute la nuit,
Giorgia mia non puo dormire ; Mon Giorgia ne peut pas dormir,
Mala francisca possa venire La vérole pourrait venir,
Come na ladra figlia de cane, Comme une voleuse fille de chien,
Tira va trasse, bibe la broda Va-t-en, bois la soupe
Come gatta nigra. Comme un matou noir. »
Poi che tu non voi facciare, « Puisque tu ne veux pas te montrer,
Jo di qua voglio par tutta. Je m’en vais d’ici. »
Su, schiavo ladra, cana musata, « Monte, nègre voleur, museau de chien,
Diriet’ a la porta, nistillingo, Viens à la porte, ici, »
Madonna trovata, nistillingo, « Femme retrouvée, ici,
Con Giorgi’ abracciata, nistillingo. Dans les bras de Giorgia, ici. »
24 | Hai, Lucia | Roland de Lassus | **** |
Hai, Lucia, bona cosa io dic’a tia Ah Lucia, j’ai une bonne nouvelle,
Che patrona fatta franca Le maître me libère
Et vo bella maritare, Et je vais t’épouser ma belle,
Giorgia tua vo pigliare, Ton Giorgia te prendra,
Tutta negra v’invitare, Il invitera tous les Maures,
Notte giorno vonno sonare Ils joueront nuit et jour,
Tambilililili… Tambilililili…
Lucia, poi che Dio v’av’ agiuta Lucia, puisque Dieu t’a donnée à moi,
gente negra, vol cantare ; Les Maures veulent chanter,
core mi, ascoltare, Mon coeur, écoute,
apri bocc’ et non dormire, Ouvre la bouche et ne dors pas,
gente negra, vol cantare : Les Maures veulent chanter :
Acqua madonna al fuoco, De l’eau femme sur le feu
che ardo tutta Qui me brûle tout entier
Et tu pigliat’ a gioco, Alors que tu joues,
Jo grido sempre, haime, Moi je ne cesse de crier, hélas,
Et tu non sentuta Et tu n’entends pas
Et voce mia tutto fatta roca Que ma voix s’enroue,
Acqua madonn’al foco De l’eau femme sur le feu
Che ci minera, ard’e mo fuinta cocha. Qui nous menace : je brûle et suis déjà presque cuit !
25 | Canta Giorgia | Roland de Lassus | ***** |
Canta Giorgia, canta che bede namolata ! « Chante Giorgia, chante que tu vois ta bien-aimée ! »
Giorgia non pote cantar ! « Giorgia ne peut pas chanter !
Che sta murta, passionata ? Pourquoi reste-t-il muet cet amour ? »
Tutta negra sta storduta « Un Maure reste muet
Quando bede gente ianca, Quand il voit des Blancs. »
Canta, Giorgia, canta ! « Chante Giorgia, chante !
Alla cura che de cua A notre santé,
Siamo bernaguala ! Nous sommes ivres !
Pamini Lucia, Pamini ! Viens avec moi Lucia, viens avec moi !
Che patrona vol francare, Car le maître me libère,
Vo dar marit’ o ime ! Il veut te marier à moi !
Piglia, gente lurma, Prends, souillon,
Che vo far gonell’a tia, Je veux te faire une robe,
A ti cilum corachi bischine, T’enlever tes guenilles
A regina ti maigara ! Et t’habiller comme une reine !
Tinche tinc, tinc… Tinche, tinc, tinc… »
Messer dorma, Parino sotto lietto, L’homme dort, Parino est sous le lit,
Madonna gamb’ in collo, La femme a les jambes autour du cou,
Messere grida, Madonna fuia, L’homme crie, la femme s’enfuit,
Parin sona zampogna, Parino joue de la cornemuse,
Armare Re io, gua gua ! Je suis le roi de l’amour, gua, gua.
Les chansons interprétées par l’ensemble Clément Janequin sont d’une toute autre inspiration, plus légère, plus populaire : Lassus y a revêtu le masque du saltimbanque, du bouffon, avec des Mauresques inspirées de la Commedia dell’arte et des chansons françaises, parfois assez lestes. L’ensemble Clément Janequin les interprète avec sa verve habituelle, en mettant ses voix et ses distorsions pas toujours très mélodieuses au service de la seule expression. C’est plein d’effets, de drôlerie et totalement maîtrisé. Très fort.
La discothèque économique classique, Classica.