Josquin des Prés - Josquin Masses : De beata virgine + Ave Maris stella (4,83/5)
01 | Missa De Beata Virgine Kyrie | Josquin des Prés | ***** |
02 | Gloria | Josquin des Prés | ***** |
03 | Credo | Josquin des Prés | ***** |
04 | Sanctus & Benedictus | Josquin des Prés | ***** |
05 | Agnus Dei I, II & III | Josquin des Prés | **** |
06 | Credo quarti toni | Josquin des Prés | **** |
07 | Ave maris stella verse 1 | ***** | |
08 | Missa Ave maris stella Kyrie | Josquin des Prés | ***** |
09 | Gloria | Josquin des Prés | ***** |
10 | Credo | Josquin des Prés | ***** |
11 | Sanctus & Benedictus | Josquin des Prés | ***** |
12 | Agnus Dei I, II & III | Josquin des Prés | ***** |
Cet enregistrement nous fait découvrir deux des plus intenses messes canoniques de Josquin fondées sur des thèmes en plain-chant. Voilà un curieux diptyque : la Missa De beata virgine fut probablement l’œuvre josquinienne la plus jouée du vivant de son auteur mais, ironiquement, elle est aussi celle qui lance aux interprètes actuels de singuliers défis, quand la Missa Ave maris stella, compacte et coulante, fait un usage de la mélodie en plain-chant toujours merveilleusement limpide – les chœurs modernes pourraient s’en servir dans un contexte liturgique. Ensemble, elles nous montrent un Josquin jamais prévisible, expérimentant tout ce qui lui passe par la tête (textures, motifs, constructions mathématiques) – d’où le cauchemar qu’elles représentent pour nous qui cherchons à dater tout ce qu’il écrivit après ses toutes premières œuvres car, hormis un surcroît d’expérimentation, elles sont sans véritable maturité stylistique. Et pour montrer combien Josquin pouvait traiter différemment un même matériau, nous avons inclus un Credo qui pourrait représenter son premier jet dans la mise en musique d’une mélodie qu’il réutilisera deux autres fois (cf. infra, la note de John Milsom).
Selon la dernière recension, la Missa De beata virgine nous a été conservée dans pas moins de soixante-neuf sources, ce qui en fait, et de loin, la messe josquinienne la plus diffusée. Il s’agit parfois, reconnaissons-le, de transcriptions fort incomplètes mais cinq importants livres de chœur en font leur pièce inaugurale – une popularité d’autant plus fascinante que cette musique manque, pour nous, d’unité patente. De nos jours, une messe polyphonique se doit d’être en plusieurs mouvements liés de manière audible, comme ceux d’une symphonie ou d’un concerto ; et dans maintes messes du XVIe siècle, cette unité résulte de l’utilisation d’un modèle, dont les traits principaux sont cités régulièrement, tout au long de l’œuvre. Or dans la Missa De beata virgine, cette unité se fait uniquement par le biais d’une très ancienne technique consistant à citer des plains-chants associés à un même thème – en l’occurrence, les fêtes de la vierge. L’unité thématique, et même tonale, est donc sacrifiée à la convenance liturgique : à partir du Credo, la texture passe de quatre à cinq parties, via un canon, ce qui suggère que l’œuvre ne fut même pas conçue comme une unité musicale complète, ce procédé ne se retrouvant ni dans le Kyrie, ni dans le Gloria à quatre voix.
Le plain-chant paraphrasé est ici le grand principe de construction, avec des chants dans différents modes (dans l’ordre des mouvements : modes I, VII, IV, VIII, VI). Au vrai, ces modes sont si variés que, pour certains, Josquin se livra délibérément à un exercice virtuose de relations modales – lequel serait alors la raison d’être (insolite) de toute l’entreprise. Possible, même si cela induit à n’en pas douter des choses impopulaires auprès des chœurs modernes, comme des ambitus vocaux inégaux (et, pour fonctionner, le Credo doit être transposé à la quatre supérieure). Alors, quelles sont les récompenses ? Elles sont subtiles, mais peuvent nous apparaître avec la même évidence qu’aux premiers auditeurs.
On se délecte surtout des canons sur lesquels s’appuient les trois mouvements à cinq voix (Credo, Sanctus, Agnus), dont deux fondées sur le plain-chant en canon pur, à la quinte ; et pour plus d’impact, Josquin décida parfois de recouvrir et d’entourer les canons de mélodies ternaires. D’où le passage célèbre entre tous : la section du Credo qui s’ouvre à « Qui cum Patre ». Les théoriciens du milieu du XVIIIe siècle, pourtant bien éloignés de l’époque josquinienne, trouvèrent ce matériau irrésistible et on le cita à l’infini. Pendant qu’elles se livrent à une simple déclamation canonique, les parties de ténor voient leur musique reprise par les altos et les basses. Par-dessus, les sopranos chantent une lente mélodie en triolets, d’une beauté aisée. On peut seulement conjecturer pourquoi tant d’auteurs, écrivant à des périodes où la polyphonie était depuis longtemps un art mort, furent si impressionés par ce passage, mais son élégance dans la complexité y était sûrement pour quelque chose.
Si la Missa De beata virgine est l’une des dernières pièces de Josquin, la Missa Ave maris stella doit lui être antérieure, puisque Petrucci la publia en 1505. Elle illustre bon nombre des caractéristiques souvent attribuées aux œuvres de la période centrale des artistes créateurs. Voilà une messe fondée de bout en bout sur une célèbre mélodie en plain-chant, atteignant trois canons dans chaque Agnus Dei. L’écriture, partout régulière et assurée, donne l’impression d’un Josquin plus détendu avec des techniques déjà expérimentées d’une manière plus juvénile. (Ce style davantage impétueux est agréablement exposé dans le Credo de « Cambrai » inclus en supplément, à la piste 6). Son traitement de la mélodie en plain-chant Ave maris stella (une hymne dont le premier verset est chanté ici à la piste 7) est une façon modèle d’utiliser des motifs dérivés d’un cantus firmus, structurellement, sur un long intervalle. Ce qui se fait parfois en imitation, mais les références sont si protéiformes (on pourrait presque dire symphoniques) qu’on sort de là en comprenant que ces os sont bien maigres. Mon morceau de tension motivique préféré est l’Amen du Gloria. Il a beau durer seulement neuf mesures, il renferme tout un monde de perfection : le motif présenté successivement comme un duo, un trio et un pêle-mêle travaillant les quatre voix.
L’argument compositionnel est si serré que les canons de l’Agnus Dei sont sur l’auditeur avant même qu’il s’en rende compte. En ce sens, ce messe pourrait s’intituler Missa Brevis. Curieusement, c’est seulement dans le Sanctus que Josquin s’autorise un développement stylistique, avec un trio inhabituellement long à « pleni », des duos dans le Benedictus et un imposant Hosanna. Avec l’Agnus suivant, nous changeons d’emblée d’espace, le motif central, désormais bien établi, tournant sur lui-même encore et encore, pareil à la musique des sphères. Voilà assurément Josquin au plus inventif, au plus inspiré de lui-même.
Peter Phillips, carton original CD.
Quelle musique, au juste, Josquin écrivit-il ? La question est délicate, et pour toutes sortes de raisons. Primo, il semble désormais probable que les décennies autour de 1500 connurent plus d’un compositeur répondant au nom de Josquin, si bien que l’on peine parfois à savoir si telle ou telle pièce est bien de « notre » Josquin – entendez par là l’homme que les sources documentaires dénomment « Jossequin Lebloitte dit Desprez ». Secundo, la demande de nouvelles œuvres de lui excédait tant d’offre que des contrefaçons virent très certainement le jour de son vivant et longtemps encore après sa mort. Certains de ces faux sont en eux-mêmes de belles œuvres, mais leur excellence ne prouve pas qu’ils soient de « Josquin Lebloitte dit Desprez ». Tertio, une foule de jeunes compositeurs passent pour avoir étudié avec Josquin, et des exercices ont pu être écrits pendant leur formation, qui portent les traces des conseils ou de l’intervention du maître. Guères surprenant, dès lors, que de telles pièces aient été attribuées à Josquin. Quarto, selon Heinrich Glarean, Josquin ne dévoilait ses nouvelles compositions au public qu’après les avoir gardées par-devers lui pour y réfléchir, pour les peaufiner. Ce qui sous-entend que certaines œuvres n’ont peut -être jamais été achevées, du moins à son goût, et que seules quelques personnes, au mieux, y eurent accès.
A quelle catégorie le Credo quarti toni appartient-il ? Cette pièce nous a été conservé de justesse dans un manuscrit de Cambrai, copié aux alentours de la mort de Josquin. Certains experts doutent de la paternité de ce dernier, arguant que cette pièce avait fort peu circulé ; mais Josquin entretenait vraiment des liens avec Cambrai, des liens remontant à l’enfance, et le manuscrit attribue solidement de Credo à « Jossequin des Prez ». Par ailleurs, il a été copié en même temps que deux messes fermement imputées à Josquin : la Missa Gaudeamus, qui apparaît plus tôt dans le manuscrit, et la Missa De beata virgine, qui le précède immédiatement et est de nouveau attribuée à « Jossequin des Prez ». Au vu de ces preuves, on ne peut que prendre au sérieux la paternité jossequinienne du Credo quarti toni. Mais qu’en est-il de son contenu musical ?
Certains experts y voient une œuvre stylistiquement quelconque. Mais les choses changent quand on regarde la manière dont elle fut réalisée. Son compositeur a pris l’une des mélodies médiévales les plus familières – la formule en plein-chant couramment utilisée pour le Credo – et l’a miraculeusement convertie en un canon serré pour ténor et baryton. Tous deux exécutent les contours du plain-chant, mais en partant sur des notes différentes – le ténor une quinte plus haute que le baryton – et avec un léger décalage. Pour les accompagner, le compositeur a ajouté deux splendides voix extrêmes, un alto et une basse, qui évoluent agilement via des ambitus exceptionnellement larges, chantant ici très bas, là très haut. Le plus souvent, les quatre voix chantent ensemble mais, par endroits, le canon se tait, laissant l’alto et la basse gambader seuls. Ailleurs, ce sont les voix extrêmes qui s’arrêtent, la texture se réduisant à une épine dorsale conceptuelle faite du canon fondé sur le plain-chant.
Cette œuvre s’inscrit dans une sorte de contexte. Deux autres messes josquiniennes, la Missa Sine nomine et la Missa De beata virgine présentent des Credo canoniques fondés sur cette mélodie de plain-chant ; Josquin se serait donc attaqué trois fois au même défi avec, dans chaque cas, une solution différente. Par ailleurs, les Credo de la Missa Sine nomine et de la Missa De beata virgine sonnent parfois remarquablement comme le Credo quarti toni, et la pièce de Cambrai a donc pu être un prototype récupéré par les messes ultérieures. Dans le manuscrit de Cambrai, le Credo quarti toni est copié juste après la Missa De beata virgine. Se pourrait-il alors que Josquin l’ait d’abord ébauché dans le cadre de cette messe avant de vite le rejeter au profit de la pièce à cinq voix qui s’est ensuite imposée ? Cette théorie est séduisante mais, comme si souvent avec Josquin, nous ne saurons peut-être jamais la vérité.
John Milson, carton original CD.
Missa l’homme armé Antoine Busnois
Missa spiritus almus Petrus de Domarto
01 | Kyrie | Josquin des Prés | ***** |
08 | Kyrie | Josquin des Prés | ***** |
Kyrie eleison. Christe eleison. Seigneur, prends pitié. Christ, prends pitié.
Kyrie eleison. Seigneur, prends pitié.
02 | Gloria | Josquin des Prés | ***** |
09 | Gloria | Josquin des Prés | ***** |
Gloria in excelsis Deo Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix,
et in terra pax hominibus bonae voluntatis. Sur la terre aux hommes de bonne volonté.
Laudamus te. Benedicimus te. Nous te louons. Nous te bénissons.
Adoramus te. Glorificamus te. Gratias. Nous t’adorons. Nous te glorifions. Nous te
agimus tibi propter magnam gloriam tuam. Rendons grâce pour ton immense gloire.
Domine Deus, Rex caelestis, Seigneur Dieu, roi des cieux,
Deus Pater omnipotens, Dieu le Père tout-puissant,
Domine Fili unigenite, Iesu Christe. Seigneur Fils unique, Jésus-Christ,
Domine Deus, Agnus Dei, Filius Patris. Seigneur Dieu, agneau de Dieu, Fils du Père,
Qui tollis peccata mundi, toi qui enlèves les péchés du monde,
miserere nobis. Prends pitié de nous ;
Qui tollis peccata mundi, toi qui enlèves les péchés du monde,
suscipe deprecationem nostram. Reçois notre dépréciation ;
Qui sedes ad dexteram Patris, toi qui es assis à la droite du Père,
miserere nobis. Prends pitié de nous.
Quoniam tu solus sanctus. Car toi seul est saint.
Tu solus Dominus. Toi seul es Seigneur.
Tu solus altissimus, Iesu Christe. Toi seul es très haut, Jésus-Christ.
Cum Sancto Spiritu Avec le Saint-Esprit,
in gloria Dei Patris, Amen. Dans la gloire de Dieu le Père. Amen.
03 | Credo | Josquin des Prés | ***** |
10 | Credo | Josquin des Prés | ***** |
Credo in unum Deum, Je crois en un seul Dieu,
Patrem omnipotentem Père tout-puissant,
factorem caeli et terrae, créateur du ciel et de la terre,
visibilium omnium et invisibilium. De toutes les choses visibles, et invisibles.
Et in unum Dominum Iesum Christum, Et en un seul Seigneur Jésus-Christ,
Filium Dei unigenitum. Fils unique de Dieu,
Et ex Patre natum ante omnia saecula. Né du Père avant tous les siècles,
Deum de Deo, lumen de lumine, Dieu né de Dieu, lumière née de la lumière,
Deum verum de Deo vero. Vrai Dieu né du vrai Dieu,
Genitum, non factum, engendré, non pas créé,
consubstantialem Patri : consubstantiel au Père ;
per quem omnia facta sunt. Par qui toutes les choses furent créées.
Qui propter nos homines Qui, pour nous les hommes,
et propter nostram salutem et pour notre salut,
descendit de caelis. Descendit des cieux,
Et incarnatus est de Spiritu Sancto et prit chair de la Vierge Marie
ex Maria virgine : par le Saint-Esprit :
Et homo factus est. Crucifixus Et se fit homme.
Etiam pro nobis : sub Pontia Pilato Il fut aussi crucifié pour nous : sous Ponce Pilate,
passus et sepultus est. Il mourut et fut enseveli.
Et resurrexit tertia die Et il ressuscita le troisième jour.
Secundum scripturas. Conformément aux écritures.
Et ascendit in caelum : Et il monta au ciel :
sedet ad dexteram Patris. Il s’assit à la droite du Père.
Et iterum venturus est cum gloria Et il reviendra dans la gloire.
Iudicare vivos et mortuos : pour juger les vivants et les morts :
cuius regni non erit finis. Son règne n’aura pas de fin.
Et in Spiritum Sanctum, E credo nello Spirito Santo,
Dominum et vivificantem : et vivificateur :
qui ex Patre Filioque procedit. Qui procède du Père et du Fils,
Qui cum Patre et Filio simul qui, avec le Père et le Fils,
adoratur et conglorificatur ; est pareillement adoré et glorifié ;
qui locutus est per Prophetas. Qui a parlé par les prophètes.
Et unam sanctam catholicam Et en une sainte, catholique
et apostolicam Ecclesiam. Confiteor unum et apostologique église. Je reconnais un seul
baptisma in remissionem peccatorum. Baptême pour la rémission des péchés.
Et expecto resurrectionem mortuorum. Et j’attends la résurrection des morts
Et vitam venturi saeculi. Amen. Et la vie du monde à venir. Amen.
04 | Sanctus & Benedictus | Josquin des Prés | ***** |
11 | Sanctus & Benedictus | Josquin des Prés | ***** |
Sanctus, sanctus, sanctus, Saint, saint, saint,
Dominus Deus Sabaoth. Seigneur des armées célestes.
Pleni sunt caeli et terra gloria tua. Le ciel et la terre sont emplis de ta gloire.
Osanna in excelsis. Hosanna au plus haut des cieux.
Benedictus qui venit Béni soit celui qui vient
in nomine Domini. Au nom du Seigneur.
Osanna in excelsis. Hosanna au plus haut des cieux.
06 | Agnus Dei I, II & III | Josquin des Prés | ***** |
12 | Agnus Dei I, II & III | Josquin des Prés | ***** |
Agnus Dei, qui tollis peccata Agneau de Dieu, qui enlèves les péchés
mundi, miserere nobis. Du monde, prends pitié de nous.
Agnus Dei, qui tollis peccata Agneau de Dieu, qui enlèves les péchés
mundi, dona nobis pacem. Du monde, donne-nous la paix.
07 | Ave maris stella verse 1 | ***** |
Ave maris stella, Salut Marie, étoile de la mer,
Dei mater alma douce mère de Dieu,
Atque semper virgo, vierge éternelle,
Felix caeli porta. Porte bénie du ciel.
Josquin a ciselé de manière distincte chacune de ses messes. A l’unité de la Missa Ave maris stella, paraphrasant dans ses cinq mouvements la même hymne mariale, répond l’assemblage sophistiqué de la Missa De beata virgine, qui combine des mouvements aux modes différents, fondés sur des mélodies d’origines diverses. Les contemporains du maître de la Renaissance tenaient déjà la seconde, œuvre de maturité, pour un sommet de sa production. Présente dans soixante-neuf sources – un nombre colossal pour l’époque -, elle est peut-être la plus diffusée de son vivant. Et, en tout cas, celle qui lui assure d’emblée la renommée la plus durable.
Austère et facétieux, lyrique et rigoureux, le meilleur Josquin est dans ces pages sublimes. Les procédés canoniques complexes qu’il y déploie sont signalés par d’ingénieux traits d’esprit, typiques de la Renaissance : « Vous jeûnerez les quatre temps » écrit Josquin pour indiquer que l’une des voix doit attendre quatre temps avant de faire son entrée (allusion aux Quatre Temps de jeûne de l’année liturgique). Plus loin, il joue avec ses interprètes : « le premier va devant » puis « le devant va derrière » indiquent une inversion d’ordre d’entrée des voix.
Rappelons le mot de Luther : « Les musiciens font ce qu’ils peuvent des notes, Josquin en fait ce qu’il veut. » Tout comme dans le gothique tardif, l’extrême rigueur géométrique des lignes et des volumes se cache sous une profusion de raffinements d’orfèvre. Et d’une architecture extraordinairement sévère surgissent de purs moments de grâce. Voyez les fausses relations émaillant le Credo de la Missa De beata virgine, ou encore les figures ternaires qui jaillissent par instants de la polyphonie et s’élancent, libres, pour flotter hors du cadre, procurant alors une inexplicable jubilation.
Issus de la tradition chorale britannique, les Tallis Scholars en incarnent la quintessence. Les deux ou trois chanteurs qui forment chaque pupitre présentent une homogénéité de timbre exemplaire. L’ensemble donne une impression d’extraordinaire facilité, de naturel et de fluidité, une sprezzatura bien dans l’esprit du XVIe siècle. Dieu sait pourtant que cette simplicité n’est qu’apparente ! Les ensembles vocaux qui parviennent à ce résultat se comptent sur les doigts d’une main. Car les longues phrases de Josquin s’avèrent en vérité terriblement difficiles à tenir, et l’exacte mécanique du contrepoint requiert, pour ne pas s’effondrer, une extrême précision dans les moindres entrées, les plus légères respirations.
Les dix-huit messes attribuées à Josquin jalonnent la carrière des Tallis Scholars. En couplant les messes selon les parentés de style ou de technique, le parcours gagne en contrastes. Surtout, il évite l’écueil d’un déroulé chronologique sujet à de lourdes incertitudes et trace d’intéressantes perspectives au sein d’une œuvre foisonnante. Les neuf CD nécessaires à l’édification du monument couvrent trente-quatre années, depuis les messes Pange lingua et La sol fa re mi de 1986 jusqu’aux Hercules Dux Ferrarie, D’ung aultre amer et Faysant regretz de 2020 : juste à temps pour le cinq centième anniversaire de la mort du compositeur (1521) !
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