The Second Circle : Love Songs Of Francesco Landini (4,44/5)
01 | Echo la primavera | Francesco Landini | ***** |
02 | Angelica bilta | Francesco Landini | ***** |
03 | Che chos’è quest’amor | Francesco Landini | ***** |
04 | Nella partita | Francesco Landini | ***** |
05 | Non do la colp’a te | Francesco Landini | **** |
06 | Quanto piu caro faj | Francesco Landini | **** |
07 | Se pronto non sara | Francesco Landini | **** |
08 | Lasso ! Per mie fortuna | Francesco Landini | ***** |
09 | Ochi dolenti mie | Francesco Landini | **** |
10 | Muort’ oramai | Francesco Landini | ***** |
11 | Per allegreça | Francesco Landini | ***** |
12 | Nella mi’ vita | Francesco Landini | **** |
13 | Abbonda di virtu | Francesco Landini | **** |
14 | Non arà ma’ pietà | Francesco Landini | **** |
15 | La bionda treçça | Francesco Landini | ***** |
16 | Cara mie donna | Francesco Landini | **** |
17 | Gran piant’ agli ochi | Francesco Landini | **** |
18 | Echo la primavera | Francesco Landini | **** |
Le XIVe siècle fut un temps de troubles religieux et sociaux en Europe occidentale – guerres incessantes, exil des papes à Avignon et, bien sûr, peste noire. L’Italie n’en souffrit pas moins que les autres pays, mais dans ce climat d’agitation et de terreur, elle engendra une constellation d’étoiles littéraires qui éclipsèrent celles de tous les autres pays d’Europe. Le Trecento, ou « trois cents », comme les Italiens nomment le XIVe siècle, fut le temps de Dante, de Pétrarque et de Boccace, celui d’une nouvelle école de poésie lyrique (héritée des troubadours provençaux) que Dante appela le dolce stil nuovo ou « doux nouveau style ». Elle a pour thèmes l’amour et le désir – exaltés par Dante, jeune amoureux, dans La Vita nuova (1292 – 1294) et transcendés par le poète de la maturité dans La Divine Comédie, où les amants lascifs sont précipités dans le deuxième cercle de l’enfer. A la même époque apparaut un « doux nouveau style » de compositions presque sans précédent : de talentueux compositeurs écrivirent des chanson polyphoniques sur des poésies légères ou romantiques, comiques ou sérieuses, mais d’une expression toujours hautement personnelle.
Il est très dommage pour nous de n’avoir aucune œuvre qui pourrait témoigner de l’art avec lequel le Trecento transformait la poésie (de Dante et Pétrarque, entre autres) en récitation musicale. Mais nous avons la chance qu’environ six cent pièces musicales soient parvenues jusqu’à nous à travers de nombreux et beaux manuscrits. Il s’agit essentiellement d’oeuvres profanes – il n’y a qu’une petite poignée de pièces polyphoniques sacrées -, et, si leur thème le plus fréquent est celui de l’amour courtois, quelques textes évoquent aussi le monde naturel ou celui, supranaturel, des divinités classiques. On y trouve même un sermon.
Chaque nouvelle du Décaméron (1355) de Boccace s’achève par une ballata chantée – dans sa forme la plus ancienne, une simple danse qu’un soliste chantait en alternance avec le choeur des danseurs. Dans la seconde moitié du siècle, les compositeurs commencèrent à préférer la ballata à des genres presque oubliés comme le madrigal (texte libre traité en duo ou en trio très orné) et la caccia (canon sur un thème souvent évocateur de la chasse), et en fixèrent la forme. La structure d’une strophe s’expliquera plus aisément par un schéma où les lettres A (a) et b représentent les deux sections musicales :
A ripresa ligne 1 (refrain)
b piede ligne 2
b piede ligne 3
a volta ligne 4
A ripresa ligne 1 (refrain)
Monodiques au début du Trecento, les ballate comportèrent plus tard deux ou trois voix. Les dix-sept ballate de Francesco Landini enregistrées ici témoignent d’un raffinement subtil, d’une expressivité neuve et d’une richesse harmonique jusqu’alors inconnue dans la musique italienne.
Compositeur prolifique et organiste virtuose qui devint presque mythique de son vivant, Francesco Landini (v. 1335 – 1397) eut la chance de naître à Florence, ville où la littérature et les arts bénéficiaient du soutien actif d’une riche et cosmopolite noblesse marchande. Francesco (cité sans son nom dans les manuscrits de l’époque) contracta la variole dans son enfance et perdit ainsi la vue, mais il apprit à chanter et à jouer de plusieurs instruments, et devint principal musicien de l’église San Lorenzo. « Homme de la Renaissance » avant l’heure, Francesco fit partie de l’élite intellectuelle néo-humaniste de Florence. Egalement honoré comme poète, il est certainement l’auteur de bon nombre – si ce n’est de la plupart – des textes de ses chansons. Ses dons expressifs étaient légendaires, comme en témoigne cette description d’une journée de loisir de la haute société d’alors :
«… Le soleil montait dans le ciel et devenait chaud ; les oiseaux chantaient par milliers, Francesco fut invité à joueur de son organetto pour voir s’ils en augmenteraient ou en diminueraient leurs chants. Dès qu’il commença à jouer, de nombreux oiseaux se turent d’abord, puis leurs chants redoublèrent, et, curieusement, un rossignol vint se percher sur une branche au-dessus de sa tête. » Giovanni de Prato, Il Paradiso degli Alberti (1389).
Les œuvres de Francesco – 154 pièces – représentent près d’un quart du répertoire du Trecento, et, parmi elles, 140 sont des ballate à deux ou trois voix. Presque tous les textes offrent une méditation très personnelle sur l’un ou l’autre thème de l’amour courtois : désir, espoir, rejet, douleur. A la grâce mélodique qui caractérise la première génération de compositeurs du Trecento, dont Francesco lui-même, ces ballate conjuguent des éléments caractéristiques des chansons françaises de l’époque : harmonies complexes, fort caractère tonal, mètre régulier, pour ne citer que les plus notables. Cette influence étrangère n’a rien de surprenant, car les marchands, clercs et érudits florentins entretenaient d’étroites relations avec leurs homologues français. Francesco et ses confrères entreprirent aussi d’emprunter aux Français leurs méthodes de notation, le couple des cadences en verto (ouvert) et chiuso (fermé), et montrèrent une nette préférence pour l’écriture à trois voix, entre autres pour le très français « chant accompagné » où une partie vocale, le superius, a un vrai rôle de soliste. De ce mariage des goûts et des techniques italiens et français dans la ballata naquit un hybride riche en nuances et en ressources expressives.
Les spécialistes ont tenté de ranger les œuvres de Landini par ordre chronologique en se fondant sur quelques rares éléments biographiques, mais surtout sur le poids croissant des influences françaises. Ainsi, il se pourrait que les ballate à deux voix soient généralement plus anciennes que celles à trois voix, et que celles où subsistent des ryhtmes de danse (« Evho la primavera », « Per allegreça », « Angelica biltà », « La bionda treçça ») soient antérieures aux duos où le texte a suscité une expression musicale plus complexe (par exemple « Ochi dolenti mie », « Nella partita », « Abbonda di virtu » ou « Se pronto non sarà », au maniérisme enjoué).
Les chansons à trois parties avec texte et où les caractéristiques italiennes sont plus nombreuses que les françaises (« Cara mie donna », « Quanto piu caro faj », « Lasso ! Per mie fortuna », « Muort’ oromai ») seraient plus anciennes que celles à deux parties avec texte dans les sources originales (« Che chos’è quest’amor », « Gran piant’ agli ochi »). Les chansons à trois parties dont l’une avec texte, les deux autres voix fournissant un accompagnement « instrumental » (« Non do la colp’ a te », « Nella mi’ vita », « Non arà ma’ pietà ») sont regardées comme le plus fortement marquées par l’influence française et pourraient représenter le dernier style de composition de Francesco. L’auditeur attentif pourra remarquer que nous ajoutons parfois un texte à une partie qui n’en comportait pas – comme cela se faisait au temps de Francesco. En dépit de cette analyse, et de cette classification, le fait est qu’une ballata de Francesco, qu’elle soit tardive ou non, simple ou complexe, à deux ou à trois voix, est indubitablement de lui et non d’un autre. Et le miracle est que, transcendant régulièrement la structure de base et produisant une musique parfaitement adaptée au caractère du texte, il crée dans chacune d’elles un microcosme unique.
Francesco mourut à Florence en 1397 et fut enterré à l’église San Lorenzo, qu’il avait servie pendant plus de trente ans. Enlevée au XVe siècle et « recyclée », sa pierre tombale réapparut au milieu du XIXe siècle dans la chapelle du couvent San Domenico à Prato. Depuis 1890, elle a repris sa place à San Lorenzo. Elle porte cette épitaphe :
« Luminibus captus Franciscus mente capaci
cantibus organicis, quem cunctis Musica solum pretulit,
hic cineres, animam super astra reliquit. »
(« Francesco, privé de la vue, reçut le don de composer, la Musique le plaça seul au-dessus de tous les musiciens, ici sont ses cendres, son âme demeure au-delà des autres. »
Susan Hellauer, carton original CD.
01 | Echo la primavera | Francesco Landini | ***** |
Echo la primavera, Voici le printemps
che ‘l cor fa rallegrare qui réjouit les coeurs,
temp’ è d’annamorare le temps de l’amour
e star con lieta cera et de la gaieté.
No’ vegiam l’aria e ‘l tempo La douceur de l’air et du temps
che pur chiam’ allegreça. éveille l’allégresse.
In questo vago tempo En cette agréable saison,
ogni cosa a vagheça. tout a du charme.
L’erbe con gran frescheça L’herbe tendre
e fior’ coprono i prati, et les fleurs couvrent les prés,
e gli alberi adornati et les arbres portent
sono in simil manera. La même parure.
Echo la primavera… Voici le printemps…
02 | Angelica bilta | Francesco Landini | ***** |
Angelica biltà venut’ è in terra. Une beauté angélique est venue sur terre.
Dunque ciascun c’ama veder belleçça, Que quiconque aime le spectacle de la beauté,
virtu, atti veçosi e legiadria de la vertu, du charme et de la grâce
vengha veder costei che sol vagheça, vienne la voir, et son âme en sera charmée
ara di lei si com’ l’anima mia. Comme la mienne.
Ma non credo con pace tanta guerra. Mais je ne crois pas à la paix dans une telle guerre.
Angelica biltà… Une beauté angélique…
03 | Che chos’è quest’amor | Francesco Landini | ***** |
Che chos’è quest’amor che ‘l ciel produce Quel est cet amour que suscite le ciel
per far piu manifesta la tuo luce ? Pour rendre ta lumière plus éclatante ?
Ell’è tanto veços’ onest’ e vagha, Elle est si gracieuse, si noble et si charmante,
legiadr’ e gratios’ adorn’ e bella, si aimable et si délicieuse, si attrayante et si belle
ch’a a chi la guarda, subito ‘l cor piagha qu’elle s’empare du coeur de quiconque regarde
con gl’ochi bel che lucon piu che stella. Ses beaux yeux, plus brillants que les étoiles.
E a cuj lice star fiso a vederla Et celui qui est autorisé à la contempler
tutta gioya e virtu in se conduce. sent la joie et la force l’envahir.
Che chos’è quest’ amor… Quel est cet amour…
04 | Nella partita | Francesco Landini | ***** |
Nella partita pianson gli occhi miei, Mes larmes coulent quand nous nous séparons,
piangon e pianger voglion finchè ‘l core elles coulent et couleront jusqu’à nos retrouvailles,
nella tornata lascierà ‘l dolore. Quand s’éteindra la douleur de mon coeur.
Nell’alma mie diletto truov’ all’ora Mon âme se délectait alors
ch’i’ guato gli occhi vaghi ennamorati, à regarder tes beaux yeux amoureux,
et sempre spandero lagrime fora, et il me faudra les revoir s’emplir de joie
finch’i’ gli rivedro lieti tornati, pour que mes pleurs se tarissent.
Ei sono d’ongni biltà adornati, Leur beauté est d’une telle perfection
che chi gli guata e non ne prende amore, que l’on peut dire qu’il est sans valeur
quel si puo dir, che sia sança valore. Celui qui les voit sans en devenir amoureux.
Nella partita… Mes larmes coulent…
05 | Non do la colp’a te | Francesco Landini | **** |
Non do la colp a te del duoch ch’i’ porto Ce n’est pas toi que j’accuse de la douleur qui
ma sol’ agli occhi tuo’ che m’anno morto. m’habite, mais seulement tes yeux, qui m’ont tué.
Per tuo felicità diede splendore La suprême beauté que te donna
a te natura di somma belleça. La nature est pour toi une félicité,
Ma per tormento del tuo servidore mais un tourment pour ton serviteur,
che’ n te si specchia et muor per tua vageçça. Frappé à mort par ton charme,
Po’ che de tuo’ begli occhi usci la freçça car de tes beaux yeux jaillit la flèche
che l’o mie mente ‘l cor conquid’ a torto. Qui frappa par erreur mon esprit et mon coeur.
Non do la colp’ a te… Ce n’est pas toi…
06 | Quanto piu caro faj | Francesco Landini | **** |
Quanto piu caro faj, O dame, plus rares
donna, guardarm’ un poco sont les regards que tu m’accordes,
piu mi s’accende ‘l foco plus s’attise en moi le désir
da tuo ‘begli ochi non partir giamaj. De ne jamais m’éloigner de tes beaux yeux.
Se per mostrart’ a me selvaggia e nova En te montrant cruelle et différente,
speri chi’i’ lasci d’amarti’i volere, tu espères que je renoncerai à t’aimer,
e non sarà che ‘l contrario fa prova que mon amour cessera
piu si disa quel ch’è dur’ ad avere. Car son objet se fait inacessible.
Ma vuol’ el moi piacere, Mais tel est mon plaisir,
allor che ‘l tuo si move quand le tien désormais
a riguardar altrove. Est de regarder ailleurs.
Da te seguir non partiro giamaj. Jamais je ne cesserai de te servir.
Quanto piu caro faj… O dame…
07 | Se pronto non sara | Francesco Landini | **** |
Se pronto non sara l’uom a ben fare, Si l’homme n’est pas prompt à bien faire,
vedrass’ in tempo e di virtu manchare. Il se verra manquer de temps et de force.
Perché lo spatio della vita è breve, Comme la vie est brève,
nessun debbe tardare ‘l suo dovere. Personne ne doit remettre son devoir.
Nè queto fare alchun debb’ esser greve, En ceci chacun doit être ferme
pensando ‘l fin ch’aspetta di vedere. Et songer à la fin qu’il poursuit.
Se non s’aspetti ancor molto dolere, Sinon, qu’il s’attende à souffrir plus encore,
quando ‘l passato non potrà tornare. Car le passé ne peut revenir.
08 | Lasso ! Per mie fortuna | Francesco Landini | ***** |
Lasso ! Per mie fortuna oppost’ amore Hélas ! La fortune contraire veut que j’aime
in donna che piu c’altr’ a duro ‘l core une dame au coeur plus dur que les autres.
Io servo lei con tutto ‘l moi ingengno, Je la sers de tout mon être,
per che m’induce ‘l suo specto piacente. Car je suis tout entier sous le charme.
Ma par che ‘l mie servire ell’abbia a sdegno Mais elle semble dédaigner mon service
come crudel ch’alcun amor non sente. Telle une cruelle insensible à tout amour.
Ne per altra cagion cosi dolente Il n’y a pas d’autre cause à la douleur
viver mi fa e stare in tanto ardore. Qui m’afflige et à la passion qui me dévore.
09 | Ochi dolenti mie | Francesco Landini | **** |
Ochi dolenti mie, che pur piangete, O mes yeux, vous qui pleurez de douleur
po che vedete, quand vous voyez que l’honnêteté seule
che sol per honestà non vi contento. m’empêche de vous contenter.
Non a diviso la mente ‘l disio Mon esprit n’a pas eu le même désir que vous,
con voi che tante lagrime versate, vous qui versez tant de larmes
perche da voi si cela el viso pio, car le doux visage qui m’a ravi ma liberté
il qual privato m’a da libertate. Se soustrait à votre vue.
Gran virtu è rafrenar volontate Il faut une grande force pour réfréner ses vœux
per honestate, par honnêteté :
che seguir donna è sofferir tormento. Servir une dame, c’est souffrir.
10 | Muort’ oramai | Francesco Landini | ***** |
Muort’ oromai, de ! Misero dolente, Me voici, Mort ! Malheureux et meurtri
poche pur meço vivi Puisque tu ne vis qu’à demi,
el megli’ è di te quivi, il est mieux d’être auprès de toi,
là dove tutto gir non se’ possente. Là où tu ne peux rien bouleverser.
L’alma seguendo quel tuo dolce bene Dans l’âme qui songe au doux repos
del qual ti priv’ a torto la fortuna, dont le destin te prive à tort,
lasci ogni senso tristo. Tu ne laisses que tristesse.
Nè isperança trovo alle tuo pene Je n’espère pas plus en tes peines,
là ond’ ogni dolore in te s’aduna en ce lieu où toute douleur se fond en toi
con çelo e amor misto. Mêlant le zèle et l’amour.
Sarà la morte non piccolo acquisto, La mort ne te sera pas facile
poi che tanto diviso puisque tu es si séparé
se’ dal tuo paradiso. De ton paradis.
Dunque, de ! Chiama lei pietosamente. Alors hélas ! Appelle-la avec douceur.
11 | Per allegreça | Francesco Landini | ***** |
Per allegreça del parlar d’amore Parler d’amour éveille l’allégresse,
s’accese fiamma rilucent’ e chiara, cela attise le feu brillant et clair
che non si sente avara qui, dans sa grande ardeur,
A dar letiçia nel suo grand’ardore. Dispense généreusement la joie.
Quest’ allegreça, se Saturno turba, Si cette allégresse trouble Saturne,
a te, Cupido, la vendetta resta. c’est à toi, Cupidon, que revient la vengeance.
Fa ch’al presente nella sacra turba Fais que cette foule sacrée
la dolce fede ti sia manifesta, te manifeste à l’instant sa douce foi.
Si che ciascuna nel parlar sia presta Ainsi, que chacune soit prête à parler
s’a questo servo è stato tolto ‘l core, au serviteur dont elle a ravi le coeur.
Dieglisi con gran festa qu’il se donne avec une grande joie
quel di colei ch’egli ama a tant’onore. Celui qui reçoit un tel honneur de celle qu’il aime.
12 | Nella mi’ vita | Francesco Landini | **** |
Nella mi’ vita sento men venire Je sens la vie se retirer de moi
el cor po’ che da te degio partire. Quand il me faut te quitter.
Dolente parto po’ che vuol fortuna Je pars tristement puisque la fortune
che mi constringe pur che cosi sia. Qui me contraint veut qu’il en soit ainsi.
Ma dove ch’i’ saro con forç’ alcuna, Mais où que je sois, dame, privé de forces,
donna, non potra’ far ch’i’ tuo non sia ; tu ne pourras faire que je ne sois à toi,
Pero che prima puo l’anima mia et mon âme mourra avec mon corps
ch’abandonarti chol corpo morire. Plutôt que de renoncer à toi.
13 | Abbonda di virtu | Francesco Landini | **** |
Abbonda di virtu chi è sança viçio Il abonde en vertus celui qui est sans vice,
serva d’amor con fè sanç’ altro indiçio. Il sert l’Amour avec foi sans autre indice.
Amor non pregia força nè richeçça, Amour n’estime ni la force ni la richesse,
nè gente di naçion, nè d’alto stato, ni la naissance ni la condition,
vuol sennon con virtu et gentileça il veut de la sagesse, des coeurs forts
di cuore et sie cortese et insegnato. Et aimables, de la courtoisie et de l’instruction.
Cui d’onestà quel sir vedrà dotato, Tel homme que ce roi verra doté d’honnêteté,
per servo lui terrà nel suo ospiçio. Il en fera son serviteur dans sa demeure.
14 | Non arà ma’ pietà | Francesco Landini | **** |
Non arà ma’ pietà questa mie donna, Ma dame sera toujours sans pitié,
se tu non faj, amore, Amour, si tu ne la convaincs pas
ch’ella sia certa del moi grand’ ardore. De l’ardeur de ma passion.
S’ella sapesse quanta pena porto Si elle savait quelles peines j’endure
per onestà celata nella mente, et garde secrètes par honnêteté
sol per la sua belleça, chè conforto à cause de sa seule beauté,
d’altro non prende l’anima dolente. Unique réconfort de mon âme.
Forse da lej sarebbono in me spente peut être éteindrait-elle en moi
le fiamme che nel core le feu qui jour après jour
di giorno in giorno acrescono ‘l dolore. Accroît la douleur en mon coeur.
15 | La bionda treçça | Francesco Landini | ***** |
La bionda treçça, del fin’or colore Sa blonde tresse couleur d’or fin
m’a legato la ment’ al meço ‘l core. A attaché mon esprit à mon coeur.
Simil’ è ‘l viso a chuell’ ombra face, Pareil à un flambeau dans l’ombre,
ove ridon le perle e vaghi fiori, son visage où rient les perles et les fleurs,
Che con pura neve al sol mi sface me fait fondre comme neige pure au soleil,
e non si cura, perch’io mi scolori. Et elle ne se soucie pas de ma pâleur.
E so’ gli effetti dl mie mal maggiori, Les effets de mon mal dépassent
che le parole e bello vede amore. Les mots, et Amour le voit bien.
Adunque amor che sai lo stato moi De grâce, Amour, toi qui sais
che mi fa nel foco esser beato que je vis béat parmi les flammes,
de’ ! Fa che nel bel viso il qual io fais que sur ce beau visage
con voci assa’ piatose t’o chiamato devant lequel je t’ai tant invoqué,
ore per me vi ti veggia a giusto grato je te voie paraître avec gratitude,
accio che me non venghia nel dolore, afin qu’il ne me cause pas de douleur.
16 | Cara mie donna | Francesco Landini | **** |
Cara mie donna, i’ vivo omai contenta Chère dame, je vivrais toujours heureux
ch’anci mi vo’ sofrir la mie gran doglia si, au lieu de m’infliger de grandes peines,
che con tuo piena voglia tu voulais de tout mon coeur
cercar grati’ al disio che mi tormenta. Répondre au désir qui me tourmente.
Come degio da te gratia volere Comment pourrais je vouloir de toi la grâce
di quel piacer che turba la tuo mente. d’une faveur qui trouble ton esprit ?
Che pur che tu me ‘l die nol posso avere Car, si tu me l’accordais, je ne pourrais l’accepter
po chè con pena l’animo ‘l consente. Quand ton coeur s’affligerait d’y consentir.
Pero ch’i’ t’amo si perfectamente Et je t’aime si parfaitement que,
che come che del doni i’ mi sia viago quel que puisse être l’agrément de cette faveur,
pocho nel cor m’apaga mon coeur s’en satisferait bien peu
pensando ch’appagata te non senta. s’il croyait que tu y consens à contrecoeur.
17 | Gran piant’ agli ochi | Francesco Landini | **** |
Gran piant’ agli ochi, greve dogli al core Mes yeux versent tant de pleurs et la douleur
abbondan senpre l’anima, si more. Accable tant mon coeur que mon âme se meurt.
Per quest’ amar’ et aspra dipartita A cause de cette amère et dure séparation,
chiamo la mot’e non mi vuol udire, j’appelle la mort, qui ne veut m’entendre ;
Contra mia volglia dura questa vita, contre mon vœu se prolonge cette vie
che mille morti mi convien sentire. Qui me fait endure mille morts.
Ma bench’i’ viva, ma’ non vo’ seguire Mais tant que je vivrai, je n’en servirai jamais
se non vo’, chiara stella et dolce amore. d’autre que vous, claire étoile et doux amour.
18 | Echo la primavera | Francesco Landini | **** |
Fils d’un peintre de l’école de Giotto, à Florence, Francesco Landini (ou Landino, 1325 – 1397) avait désiré suivre les traces de son père jusqu’à ce que la variole lui fasse perdre la vue. Il parvint cependant à s’établir comme organiste, chanteur et poète.
Les détails du début de sa vie sont flous. La seconde moitié de sa vie est cependant plus connue. Il devint organiste du monastère de la Santa Trinità de Florence en 1361 avant d’être nommé musicien principal de l’église de San Lorenzo où il demeura jusqu’à sa mort en 1397.
Aujourd’hui, on se souvient principalement de Landini pour la cadence baptisée en son honneur, procédé permettant de conclure un morceau harmonieusement. Bien que ce motif ne soit pas exclusif à Landini, celui-ci en fit l’une des caractéristiques du style du XIVe siècle.
Landini nous a laissé cent cinquante-quatre chansons, dont cent quarante ballades et douze madrigaux. Au XIVe siècle, la ballade était composée de cinq strophes : un refrain, deux couplets, un faux refrain (qui possédait la même forme poétique et musicale que le refrain mais dont les vers différaient), et à nouveau le refrain.
On retrouve dans cet enregistrement des Anonymous 4 le doux caractère mélodique des ballades de Landini. Chaque morceau est magnifiquement projeté par la voix éthérée des chanteuses, et même les rythmes décalés de Landini s’adoucissent sous leur carillon vocal. Une telle interprétation évoque le rêve d’un passé lointain.
Naomi Matsumoto, Les 1001 œuvres classiques qu’il faut avoir écoutées dans sa vie.