Art Tatum – Piano Solos (1940)

Art Tatum – Piano Solos (1940) : 4,71/5

 

Pour ceux qui aiment le piano et le jazz, cet album regorge d’envolées fantastiques, des mélodies d’une richesse et d’une rapidité impressionnante et envoutante. Dès les premier morceau Elegie, on se demande comment un seul pianiste peut aligner autant de notes. Sentiment partagé dans l’interprétation aérienne de Get Happy et Rosetta. Lullaby Of The Leaves est une ballade très mélodieuse comme Cocktails For Two. Tiger Rag et St. Louis Blues donnent le vertige avec tant de rapidité. On retrouve cette dextérité inégalable dans Emaline. Cet album montre ainsi tout l’immense talent de Tatum qu’on peut entendre ici dans son interprétation solo et qui permet donc de se concentrer particulièrement sur son jeu hors norme.

 

01 Elegie Jules Massenet *****
02 Humoresque Antonin Dvorak ****
03 Sweet Lorraine Clifford R. Burwell / Mitchell Parish ****
04 Get Happy Harold Arlen / Ted Koehler *****
05 Lullaby Of The Leaves Bernice Petkere / Joe Young *****
06 Tiger Rag Harry Da Costa / Eddie Edwards / Nick LaRocca / Henry W. Ragas / Tony Sbarbaro / Larry Shields *****
07 Sweet Emalina, My Gal Henry Creamer / Turner Layton *****
08 Emaline Mitchell Parish / Frank Perkins *****
09 Moonglow Eddie DeLange / Will Hudson / Irving Mills ****
10 Cocktails For Two Sam Coslow / Arthur Johnston *****
11 St. Louis Blues W.C. Handy *****
12 Begin The Beguine Cole Porter *****
13 Rosetta Earl Hines / Henri Woode *****
14 (Back Home Again In) Indiana James F. Hanley / Ballard MacDonald ****

 

L’éphémère programme de réédition de CD Decca de MCA a permis de sortir ce joyau, tous les solos de piano de Tatum de 1940, y compris deux versions de « Sweet Emalina, My Gal », inconnues jusqu’alors. Certaines des routines de ces standards étaient déjà un peu familières (ce « Tiger Rag » n’a rien à voir avec sa version de 1933) mais elles n’en sont pas moins passionnantes et semblent toujours aussi impossibles à jouer.

                                                                                              ****/ Scott Yanow, All Music.

 

            Fats Waller le compara à Dieu en personne. Vladimir Horowitz alla l’écouter à New York et fut fasciné par son jeu. Charlie Parker avoua rêver de faire sur son saxophone alto ce que la main droite d’Art Tatum produisait sur son clavier. A son écoute, Stéphane Grappelli crut qu’il s’agissait de deux pianistes… Art Tatum ou l’homme-piano. Sa vie terrestre fut brève (il meurt en 1956 à l’âge de quarante-six ans), il fait figure d’extraterrestre sur la planète jazz. Né quasi aveugle en 1909 à Toledo dans l’Ohio, c’est dans une école pour non-voyants qu’il apprend le piano. Il a l’oreille absolue et une prodigieuse mémoire : il est capable de rejouer la musique de rouleaux de piano mécanique, de reproduire note pour note des morceaux joués par deux pianistes… En 1932, il accompagne la chanteuse Adelaide Hall et, un an plus tard, il enregistre quatre faces qui impressionnent le petit monde du jazz new-yorkais par leur modernité harmonique servie par une technique hors du commun. Il joue en solo et, en 1943, il forme un trio sur le modèle de celui de Nat King Cole, avec une basse (Slam Stewart) et une guitare (Tiny Grimes). En 1944, il participe au concert Esquire au Metropolitan Oper House de New York au cours duquel il accompagne Louis Armstrong et Billie Holiday.

                Art Tatum fait partie de ces pianistes rares dont le savoir harmonique ne se révèle qu’à travers une élégance mélodique et une puissance rythmique de tous les instants. S’il connut un grand succès en trio, avec guitare et basse, c’est en solitaire qu’il a toujours préféré s’exprimer. En solo, Art Tatum joue l’instrument sur toute sa tessiture, dans toute son étendue dynamique avec une virtuosité gourmande, une folie rhapsodiante qui n’aura été égalée que par Earl Hines, Oscar Peterson et Martial Solal.

                Solos est un disque brillant qui déborde de fougue, un feu d’artifice. Les festivités commencent par deux relectures de thèmes issus du répértoire classique, « Elegie » de Jules Massenet et « Humoresque » d’Anton Dvorak, puis ce sont les standards qui déboulent (« Sweet Lorraine », « Get Happy », « Lullaby Of The Leaves », « Saint Louis Blues » ou bien « Begin The Beguine »). Une fois de plus, ses interprétations de standards mêlent en une parfaite synthèse stride, boogie-woogie, swing. Traits fulgurants, arabesques, changements soudain de tempo, une telle virtuosité, une telle pyrotechnie digitale, qui n’est pas un formalisme, pourrait agacer. Au contraire, elle enchante.

                                                                        Franck Médioni, Sounds Of Surprise, Le jazz en 100 disques.